8 avril 2008

Allocution de Dr Jean-Pierre Desprès : L’OBÉSITÉ ABDOMINALE : LE CHOLESTÉROL DU 21e SIÈCLE

Voici l’allocution faite par le Dr Jean-Pierre Després lors de la journée de sensibilisation qui a eu lieu le mardi 8 avril dernier à l’Assemblée nationale par la Fondation des maladies du coeur.

Les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de décès au Canada depuis plusieurs années. Même si l’on dispose maintenant de meilleures connaissances scientifiques afin de traiter les patients, la prévention des maladies cardiovasculaires demeure un défi. De nombreux efforts de prévention et d’intervention axés sur certains facteurs de risque comme le tabagisme, l’hypertension artérielle et le cholestérol ont été déployés au cours des dernières années. L’obésité représente quant à elle un facteur de risque en émergence et est devenue un sujet de préoccupation majeure dans tous les pays occidentaux. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) considère même qu’il s’agit d’une épidémie, voire d’une pandémie, et que tous les pays doivent agir afin de la contenir. Au Canada, l’obésité atteint maintenant 20 % de la population. Malheureusement, l’environnement moderne dans lequel nous vivons, caractérisé par des habitudes de vie sédentaire et une abondance de nourriture à haute densité énergétique, est largement responsable de cette situation.

Depuis plus de vingt-cinq ans, les chercheurs de l’Université Laval s’intéressent au problème de l’obésité. Leurs nombreux travaux ont remis en évidence une notion introduite au milieu des années 40 par un médecin français, le docteur Jean Vague, qui avait déjà remarqué à cette époque que les complications de l’obésité étaient beaucoup plus étroitement liées à la localisation de la graisse corporelle plutôt qu’à l’excès de poids. Ainsi, il est maintenant reconnu qu’une proportion élevée de graisse abdominale, condition à l’origine décrite sous le terme « obésité androïde » ou masculine, constitue un facteur de risque important pour les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 ainsi que la mortalité associée à ces conditions (voir pomme, figure 1). Par ailleurs, une accumulation importante de tissu adipeux dans la région glutéo-fémorale (hanches et cuisses), souvent observée chez la femme avant la ménopause et décrite initialement par le Dr Vague sous le terme « obésité gynoïde » ou féminine, ne semble pas associée à des complications importantes ni à un risque accru de développer le diabète de type 2 ou des maladies cardiovasculaires (voir poire, figure 1).

Le développement de techniques d’imagerie sophistiquées telles que la résonance magnétique et la tomodensitométrie permet maintenant de mesurer avec grande précision la quantité de tissu adipeux abdominal. Par ailleurs, grâce à ces méthodes non invasives, on peut distinguer de façon nette le tissu adipeux abdominal sous-cutané du tissu intra-abdominal ou viscéral localisé dans la cavité abdominale. À cet effet, une équipe de chercheurs de l’Université Laval dirigée par le docteur Jean-Pierre Després a démontré que l’obésité abdominale, principalement l’obésité viscérale ou intra-abdominale, est associée à de nombreuses complications telles que la résistance à l’insuline et l’athérosclérose, augmentant le risque de développer le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires (Figure 2). Cet ensemble d’anomalies du métabolisme largement tributaire de la présence d’obésité abdominale est maintenant mieux connu sous le nom de syndrome métabolique. Ainsi, le Dr Després a décrit l’obésité abdominale en tant que « cholestérol du 21e siècle ».

Puisqu’il s’avère primordial de dépister en clinique les individus caractérisés par l’obésité abdominale et ses complications souvent décrites par le terme « syndrome métabolique », l’équipe du Dr Després s’est penchée sur le développement d’un outil qui permettrait aux cliniciens et aux professionnels de la santé de dépister rapidement et à faible coût les personnes avec obésité abdominale et à risque. Ainsi, il a été démontré que l’utilisation et l’interprétation de la « taille hypertriglycéridémiante » (présence simultanée d’un tour de taille élevé et d’une augmentation des concentrations sanguines de triglycérides à jeun) permettaient d’identifier les personnes caractérisées par de l’obésité abdominale et un ensemble d’anomalies du métabolisme augmentant de façon substantielle le risque de développer le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires. Des résultats similaires ont depuis été rapportés par d’autres équipes de recherche dans le monde. Plusieurs études sont en cours dans différents pays afin de déterminer si la fonte sélective de cette graisse viscérale dangereuse pour la santé serait associée à des bénéfices cliniques importants, dont la diminution du risque de diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires.

L’ensemble des travaux de recherche réalisés par le Docteur Després au cours des vingt-cinq dernières années a conduit à la publication de plus de 450 articles dans des revues médicales et scientifiques prestigieuses. À cet effet, la revue scientifique Nature lui a demandé de résumer ses travaux dans un article de synthèse paru dans son édition du 14 décembre 2006. Ceci témoigne donc de la reconnaissance par la communauté scientifique internationale des travaux de recherche du Docteur Després et de l’équipe de chercheurs de l’Université Laval. Cette grande équipe se penche maintenant sur des approches de soutien pouvant aider les patients avec obésité abdominale à recalibrer leurs habitudes alimentaires et d’activité physique. Les résultats obtenus dans le cadre d’une grande étude d’intervention qu’ils ont réalisée à l’Hôpital Laval, l’étude SYNERGIE, montre que pour un investissement minimal en prévention impliquant des spécialistes en nutrition et en kinésiologie, les patients avec obésité abdominale peuvent perdre du poids et améliorer de façon considérable leur profil de santé. Le Docteur Després et son équipe militent donc pour l’ajout de ces professionnels de la nutrition et de l’activité physique dans les milieux cliniques afin de prendre en charge de façon optimal le profil de risque de la population québécoise.
 

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