20 décembre 2005

Adoption finale du projet de loi 124

Discours du député de Vachon et porte parole de l’opposition officielle en matière d’emploi, de solidarité sociale et de famille, M. Camil Bouchard

Merci, Mme la Présidente. J’ai de très nombreuses fois tenté de convaincre la ministre de changer de nombreuses choses dans son projet de loi. Je l’ai tenté en français. Je n’ai pas eu de succès. Alors, je vais le tenter en anglais. Et je vais lire une très courte note que j’ai reçue – et qu’elle a reçue sans doute – de Mme Elisabeth Reed, et je cite, Mme la Présidente:

«I’m shocked, I’m shocked and revolted by the Liberal Government’s decision to push through Bill 124. Negotiations between members of the CPE network and the Minister were going well. We were working together to try to produce a system with the best interest of Québec’s children. And now, the Prime minister has thrown that all the way. What is his Christmas present to Québec’s youngest citizens? The decimation of public educational child care in this province.»

Mme la Présidente, Mme Reed demande, à la fin de sa lettre – mais il est trop tard – au gouvernement de stopper sa machine infernale, de retarder l’adoption du projet de loi pour qu’on puisse le travailler plus sereinement et bâtir un meilleur système que celui qu’il nous offre.

Et Jocelyne Richer de La Presse canadienne, dans sa dernière dépêche qui paraîtra demain, dit ceci: «C’est certainement la pièce législative la plus controversée du gouvernement ces derniers mois, le projet n° 124 aura donc force de loi sans que jamais la ministre justifie le caractère urgent de son adoption et, complète-t-elle, au mépris des règles normales de procédure.»

M. le Président, je me suis souvent fait demander, depuis le début de cette saga, comment il se faisait que la ministre s’était engagée dans cette trajectoire. Pourquoi s’entête-t-elle à garder le cap sur une destination dont personne ne voulait?

J’ai fait un retour, Mme la Présidente, sur les motivations explicites, avouées et une non avouée par la ministre. Et j’aimerais vous les rappeler parce que quelquefois on perd de vue les raisons pour lesquelles la ministre a entrepris ce long et pénible voyage.

La première raison, disait-elle, c’est pour offrir plus de flexibilité des services de garde aux parents, des heures d’ouverture allongées, etc. On s’est vite aperçu, un, qu’il n’y avait rien, pas un mot, pas une disposition dans la loi relative à cette dimension, pas un mot. Ensuite, questionnée par les journalistes on s’est vite aperçus, un, qu’il n’y avait rien, pas un mot, pas une disposition dans la loi relative à cette dimension, pas un mot. Ensuite, questionnée par les journalistes, la ministre a dû admettre qu’elle ne savait pas les besoins exactement auxquels elle voulait répondre, elle n’avait pas de données. Ensuite, elle nous a dit: Il y a eu des projets pilotes, mais la demande n’était pas tellement forte, et on a entendu ça aussi en commission parlementaire. Et enfin elle a dû admettre que c’est les parents qui devraient éventuellement payer plus cher pour ces services. Fin de la flexibilité.

Deuxièmement, accessibilité améliorée. Eh bien, voyons cela. D’abord, le projet de loi ne prévoit pas plus de développement de places. Deuxièmement, la création des bureaux coordonnateurs dédiés exclusivement au milieu familial aboutit à la création de trois listes d’attente et non pas une seule comme elle prétend. Et enfin la ministre, dans son projet de loi, n’inscrit pas des dispositions de telle sorte à ce que les communautés locales soient investies d’un pouvoir de recommandation au ministre sur la localisation et le nombre des places à développer ou à déplacer. Fin de l’accessibilité.

Troisième raison, rappelez-vous, améliorer la qualité des environnements éducatifs. Il n’y a rien de prévu pour les enfants de milieux défavorisés. On a dû rappeler à la ministre le principe de l’égalité des chances, elle s’en vante maintenant, elle devrait nous dire merci. Deuxièmement, son projet de loi annonce des coupures de 50 à 60 millions et une diminution de la présence des conseillères pédagogiques auprès des éducatrices en milieu familial. Amélioration de la qualité des environnements éducatifs: la ministre nous dit: J’ai fait l’article 5 qui rend maintenant obligatoire, ce qui n’était pas le cas avant, dit-elle, les programmes éducatifs. Faux. La ministre ne connaît pas sa loi. Si elle la lisait, elle verrait que cinq fois, cinq fois plutôt qu’une, les programmes éducatifs sont obligatoires selon la loi actuelle. Et pire, Mme la Présidente, en ce qui concerne la qualité des environnements, elle disloque un réseau intégré, interactif et très fécond d’innovations pédagogiques pour nos jeunes enfants. Alors, on repassera pour la qualité des environnements éducatifs.

Quatrièmement, Mme la Présidente, elle veut améliorer, dit-elle, la qualité du soutien qui sont offerts aux responsables de services de garde en milieu familial. Alors, qu’est-ce qu’elle fait? Un, elle diminue le nombre de conseillères auprès de ces éducatrices; deux, elle n’a jamais produit aucune donnée quant aux faiblesses de ce soutien, si bien qu’elle ne sait pas quoi faire parce qu’elle n’a pas d’études; trois, elle doit constater, d’après les enquêtes maintenant qui sont connues du Conseil québécois et de l’Association québécoise des centres de la petite enfance, elle doit maintenant admettre l’attachement très majoritaire des responsables de services de garde en milieu familial à leurs CPE et leur satisfaction profonde des services qu’elles reçoivent et de l’identification professionnelle qu’elles acquièrent au contact et à la fréquentation féconde des installations.

Cinquièmement, elle nous dit: Je veux renforcer l’identité des responsables de services de garde en milieu familial. Et qu’est-ce qu’elle fait? Elle les prend, les sépare des CPE petits, familiers, à proximité, puis elle les place où? Dans les CPE gros, impersonnels et bureaucratiques. Bravo pour l’identité! Réussi, Mme la ministre! Très bon! Bravo! Il n’y a personne qui va se sentir floué là-dedans, là, hein?

Mme la Présidente, il n’y a rien non plus dans la loi qui protège les responsables de services de garde en milieu familial contre une rétroactivité, une rétroactivité bâclée, une rétroactivité injuste qui a été cherché 8 millions de dollars dans leurs poches il y a quelques mois, rien qui protège les responsables de services de garde en milieu familial contre cela dans son projet de loi. Merci pour renforcer l’identité des responsables de services de garde en milieu familial.

Cinquième raison – bon, on l’a vue apparaître un peu tard – rationalisation… sixième raison, rationalisation budgétaire. Je fais tout ce branle-bas, dit-elle, parce que j’ai besoin de 50 à 60 millions que me demandait, quand elle avait de la voix, la présidente du Conseil du trésor. On a su que ce n’était pas vraiment la vraie raison, parce que l’Association québécoise des centres à la petite enfance lui proposait une solution qui lui amenait à peu près les mêmes économies sans chambarder le système, sans le casser, et elle a refusé. Ce n’était pas non plus la vraie raison.

Mais quelle est la vraie raison? Quelle est la vraie raison? On a pensé l’avoir découverte à un moment donné, mais elle ne nous l’avait jamais dite: la commercialisation. On s’est aperçu, à l’examen du projet de loi, qu’elle ouvrait toute grande la porte à des chaînes commerciales par l’ajout de deux petits mots: «des installations» au lieu d’«une installation». Elle a battu retraite. Obligatoirement, toute la population était contre.

Alors, pourquoi a-t-elle fait tout cela? Mme la Présidente, l’histoire nous le dira. Il n’y a vraiment personne qui comprend pourquoi elle a fait tout cela. Elle a peut-être persisté parce qu’elle s’est tellement identifiée au concept de bureau coordonnateur qu’elle n’a pas pu reculer. Elle l’a peut-être fait aussi pour quelques personnes nostalgiques de l’ancien système de 1997 qui lui ont fait des pressions. Mais, quelle que soit la motivation, elle ne nous aura pas convaincus que c’est pour le bien-être des enfants et le bien-être des parents. C’était son fardeau, c’était le fardeau de la preuve qu’elle avait à assumer. Elle ne l’a jamais fait, sinon que de répéter qu’elle le faisait, mais jamais la démonstration n’a convaincu personne, personne.

Résultat, Mme la Présidente: un projet de loi qui casse un réseau, un projet de loi qui le disloque, un projet de loi qui l’affaiblit, mais qui n’affaiblit pas ses artisans, un projet de loi qui n’enrichit en rien l’environnement des enfants, un projet de loi qui a bousculé et qui va encore bousculer beaucoup, beaucoup de monde et un projet de loi, M. le premier ministre, qui choque la population. Et, pour couronner le tout, Mme la Présidente, un projet de loi qui nous est livré dans un beau bâillon. Félicitations, Mme la ministre, c’est votre…

La Vice-Présidente: …toujours vous adresser à la présidence.
M. Bouchard (Vachon): Mme la Présidente, j’adressais mes félicitations à la ministre.
La Vice-Présidente: À travers moi, s’il vous plaît, M. le…
M. Bouchard (Vachon): Je le ferai à travers vous, mais elle entendra. Félicitations, Mme la Présidente, la ministre a établi un record: 100 %. La loi n° 8, dans le bâillon; la loi n° 32, dans le bâillon; la loi n° 124, dans le bâillon. Super! Beau bulletin!

Maintenant, Mme la Présidente, j’aimerais m’adresser aux très nombreuses éducatrices et gestionnaires, aussi bien en installation qu’en milieu familial, qui ont dû subir ces longues semaines de stress et je voudrais leur dire ceci: La population du Québec vous aura témoigné sans ambiguïté son attachement et son appréciation. Vous l’aurez certainement senti, parce que nous, dans notre petite bulle parlementaire, on l’a bien perçu, on l’a perçu très clairement. Votre conviction, votre dévouement, votre compétence ont convaincu la population du bien-fondé de vos inquiétudes et de vos revendications. Vous vivez ce soir sans doute en très grande majorité une heure sombre, et je le sais pour vous lire, je le sais pour vous parler, et votre déception et votre tristesse sont grandes, nous le savons.

Mais j’aimerais vous signifier ceci. J’aimerais vous convaincre qu’à partir d’aujourd’hui l’indignation de la population devant ce que le gouvernement a entrepris à votre égard et à l’égard des efforts que vous avez consentis pour bâtir ce merveilleux réseau servira de combustible puissant à une lutte qui n’est pas finie. Partout autour de vous, dans chacune de vos collectivités, de vos communautés, vous trouverez des gens qui, comme moi et comme mes collègues, et compagnons, et compagnes de l’opposition, sont prêts à continuer la lutte avec vous, à vous soutenir, à vous aider à offrir à leurs enfants, à nos enfants des environnements sécuritaires, des environnements affectueux, des environnements bienveillants, des environnements stimulants à vous soutenir, à vous aider, à vous aider à offrir à leurs enfants, à nos enfants, des environnements sécuritaires, des environnements affectueux, des environnements bienveillants, des environnements stimulants qui sont nécessaires à leur développement. Vous représentez, vous représentez une formidable force parce que vous êtes solidaires. Ne laissez plus personne vous diviser et laissez-vous aimer, laissez-vous aimer par vos enfants et par leurs parents. Et aux parents qui côtoient ces éducatrices, qui confient leurs enfants aux éducatrices de notre réseau, j’aimerais leur dire ceci: ne vous inquiétez pas, vos enfants sont entre bonnes mains. Merci.

(Applaudissements)

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